La Belgique déboussolée, selon Charlie Hebdo
Title
La Belgique déboussolée, selon Charlie Hebdo
Description
Le 30 mars 2016, le journal satirique Charlie Hebdo a répondu aux attentats terroristes à Bruxelles. La une polémique, dessinée par Laurent « Riss » Sourisseau, montre une caricature de Stromae sur un fond noir, jaune et rouge, les couleurs du drapeau belge. On voit éparpillé autour de ce chanteur célèbre les membres du corps qui répondent à la question « Papa où t’es ? » en disant « ici », « là », « ici », « et là aussi ». Le caricaturiste Riss ayant lui-même vécu l’attaque contre Charlie Hebdo en janvier 2015, son image rappelle la manière dont le journal a répondu aux attentats contre le journal en reprenant l’image polémique de Mahomet. Cette image de Stromae existe donc dans un contexte où le journal souligne la nécessité de pouvoir rire de tout, et dépend par conséquent de l’humour noir et de l’incongruité. Pourtant, selon le degré des connaissances des lecteurs, l’humour basé sur Stromae en tant que symbole de la Belgique pourrait être éclipsé par les associations au génocide au Rwanda en 1994 et au colonialisme belge.
La première interprétation de l’image est basée principalement sur l’incongruité et l’humour noir utilisé par le caricaturiste dans le contexte des attentats terroristes. La cartouche avec le texte « La Belgique déboussolée » confirme qu’il s’agit de la situation en Belgique après les attentats à l’aéroport de Zaventem et à la station métro de Maelbeek, où, selon une annonce de RTBF, il y a eu 35 morts. La Belgique est représentée par la caricature de Stromae, avec les traits caractéristiques exagérés et son style vestimentaire unique, connus non seulement dans le monde francophone, mais également dans le contexte international. Pourtant, il faut comprendre le texte en français qui accompagne l’image afin d’apprécier l’humour. L’humour, sous forme d’incongruité, survient quand on voit la question rhétorique de la chanson « Papaoutai » posée comme question littérale qui suggère la recherche des morts, « Papa où t’es ? », et à laquelle les membres d’une ou de plusieurs victimes répondent. Le rire potentiel chez le lecteur est donc basé à la fois sur le simple fait que l’image ose se moquer des événements violents et choquants, et sur le jeu de mots autour de la question rhétorique posée par Stromae qui, à son tour, représente la Belgique entière.
Pourtant, l’utilisation de Stromae en tant que symbole de la Belgique mène à une deuxième interprétation possible de l’image, basée sur les racines rwandaises du chanteur. En choisissant la parole « Papaoutai », le caricaturiste implique notamment l’histoire personnelle de Stromae, dont le père a été tué lors du génocide au Rwanda en 1994 (Scott). Si le lecteur perçoit ces liens, Stromae n’est pas seulement un symbole de la Belgique dont une parole mène à un jeu de mots pertinent. Cette image sort plutôt du contexte belge actuel en établissant des associations entre le génocide au Rwanda et les attentats à Bruxelles, qui ont été comparativement moins meurtriers. Il devient par conséquent moins clair si les membres du corps dans l’image appartiennent aux victimes des attentats à Bruxelles, ou s’il s’agit du père de Stromae. Selon la deuxième interprétation, le caricaturiste lance une attaque plus personnelle vers Stromae en tant qu’individu, dont l’histoire familiale rappelle les relations coloniales entre la Belgique et le Rwanda. C’est justement à cause de ces relations de pouvoir violentes que l’image sort de la « zone de sécurité » de l’humour (Bilh et. al. 65), où la moquerie de l’Autre devient polémique.
Sortir de cette zone de sécurité au nom de l’humour n’est cependant pas inhabituel chez Charlie Hebdo, le journal satirique dont les caricatures de Mahomet ont causé des protestations dans le passé. Une caricature « devant être comprise au premier coup d’œil », les caricatures de Mahomet ne cachaient pas de quoi il s’agissait (Bilh et. al. 22), d’où la nature problématique de la caricature de Stromae : à cause de son ambiguïté, la deuxième interprétation pourrait éclipser l’humour noir plus immédiat de la première. Jusqu’à un certain point, l’utilisation de Stromae en tant que symbole reconnaissable de la Belgique montre donc une « connivence avec le public, sur un ensemble de codes communs… » (Bilh et. al. 22). Cependant, cette notion de « connivence avec le public » qui définit l’efficacité d’une caricature n’est pas présente lorsqu’on considère la possibilité d’un deuxième niveau d’analyse. On se demande si c’est une association coloniale accidentelle, où s’il s’agit d’une comparaison volontaire de Riss avec le but de critiquer le colonialisme ou l’importance relative des tragédies. Ces interprétations multiples compliquent l’efficacité de l’image de Riss en tant que caricature, mais c’est justement cette complexité qui contribue aussi à son importance en tant qu’objet culturel.
L’utilisation d’une personne en tant que symbole national obscurcit donc la simplicité d’une caricature efficace, car la manière dont le lecteur voit l’image détermine la perception de l’humour. Dans ce cas, il existe une confusion entre un commentaire satirique et une transgression plus profonde autour des racines rwandaises de Stromae. L’humour noir de cette image dépend de l’incongruité dans les deux cas, mais la caricature elle-même évoque aussi une incohérence plus large qui éclipse potentiellement cet humour, selon les connaissances des lecteurs. Cela ne signifie pas nécessairement l’échec de la caricature, mais son but de choquer, au lieu de par exemple critiquer explicitement la religion ou la politique, demande une lecture plus nuancée. L’humour satirique de cette image implique clairement la violence, mais le fonctionnement de l’humour diffère selon la violence particulière que le lecteur perçoit.
Œuvres citées
Bilh, Laurent, et. al. La caricature…et si c’était sérieux ? Paris: Nouveau Monde, 2015. Print.
RTBF. “Attentats à Bruxelles: 35 décès, 96 personnes encore hospitalisées.” RTBF. 28 Mar. 2016. Web. 22 Apr. 2016.
Scott, Sayare. “Stromae: Disillusion With a Dance Beat.” New York Times. New York Times, 14 Oct. 2013. Web. 4 May 2016.
La première interprétation de l’image est basée principalement sur l’incongruité et l’humour noir utilisé par le caricaturiste dans le contexte des attentats terroristes. La cartouche avec le texte « La Belgique déboussolée » confirme qu’il s’agit de la situation en Belgique après les attentats à l’aéroport de Zaventem et à la station métro de Maelbeek, où, selon une annonce de RTBF, il y a eu 35 morts. La Belgique est représentée par la caricature de Stromae, avec les traits caractéristiques exagérés et son style vestimentaire unique, connus non seulement dans le monde francophone, mais également dans le contexte international. Pourtant, il faut comprendre le texte en français qui accompagne l’image afin d’apprécier l’humour. L’humour, sous forme d’incongruité, survient quand on voit la question rhétorique de la chanson « Papaoutai » posée comme question littérale qui suggère la recherche des morts, « Papa où t’es ? », et à laquelle les membres d’une ou de plusieurs victimes répondent. Le rire potentiel chez le lecteur est donc basé à la fois sur le simple fait que l’image ose se moquer des événements violents et choquants, et sur le jeu de mots autour de la question rhétorique posée par Stromae qui, à son tour, représente la Belgique entière.
Pourtant, l’utilisation de Stromae en tant que symbole de la Belgique mène à une deuxième interprétation possible de l’image, basée sur les racines rwandaises du chanteur. En choisissant la parole « Papaoutai », le caricaturiste implique notamment l’histoire personnelle de Stromae, dont le père a été tué lors du génocide au Rwanda en 1994 (Scott). Si le lecteur perçoit ces liens, Stromae n’est pas seulement un symbole de la Belgique dont une parole mène à un jeu de mots pertinent. Cette image sort plutôt du contexte belge actuel en établissant des associations entre le génocide au Rwanda et les attentats à Bruxelles, qui ont été comparativement moins meurtriers. Il devient par conséquent moins clair si les membres du corps dans l’image appartiennent aux victimes des attentats à Bruxelles, ou s’il s’agit du père de Stromae. Selon la deuxième interprétation, le caricaturiste lance une attaque plus personnelle vers Stromae en tant qu’individu, dont l’histoire familiale rappelle les relations coloniales entre la Belgique et le Rwanda. C’est justement à cause de ces relations de pouvoir violentes que l’image sort de la « zone de sécurité » de l’humour (Bilh et. al. 65), où la moquerie de l’Autre devient polémique.
Sortir de cette zone de sécurité au nom de l’humour n’est cependant pas inhabituel chez Charlie Hebdo, le journal satirique dont les caricatures de Mahomet ont causé des protestations dans le passé. Une caricature « devant être comprise au premier coup d’œil », les caricatures de Mahomet ne cachaient pas de quoi il s’agissait (Bilh et. al. 22), d’où la nature problématique de la caricature de Stromae : à cause de son ambiguïté, la deuxième interprétation pourrait éclipser l’humour noir plus immédiat de la première. Jusqu’à un certain point, l’utilisation de Stromae en tant que symbole reconnaissable de la Belgique montre donc une « connivence avec le public, sur un ensemble de codes communs… » (Bilh et. al. 22). Cependant, cette notion de « connivence avec le public » qui définit l’efficacité d’une caricature n’est pas présente lorsqu’on considère la possibilité d’un deuxième niveau d’analyse. On se demande si c’est une association coloniale accidentelle, où s’il s’agit d’une comparaison volontaire de Riss avec le but de critiquer le colonialisme ou l’importance relative des tragédies. Ces interprétations multiples compliquent l’efficacité de l’image de Riss en tant que caricature, mais c’est justement cette complexité qui contribue aussi à son importance en tant qu’objet culturel.
L’utilisation d’une personne en tant que symbole national obscurcit donc la simplicité d’une caricature efficace, car la manière dont le lecteur voit l’image détermine la perception de l’humour. Dans ce cas, il existe une confusion entre un commentaire satirique et une transgression plus profonde autour des racines rwandaises de Stromae. L’humour noir de cette image dépend de l’incongruité dans les deux cas, mais la caricature elle-même évoque aussi une incohérence plus large qui éclipse potentiellement cet humour, selon les connaissances des lecteurs. Cela ne signifie pas nécessairement l’échec de la caricature, mais son but de choquer, au lieu de par exemple critiquer explicitement la religion ou la politique, demande une lecture plus nuancée. L’humour satirique de cette image implique clairement la violence, mais le fonctionnement de l’humour diffère selon la violence particulière que le lecteur perçoit.
Œuvres citées
Bilh, Laurent, et. al. La caricature…et si c’était sérieux ? Paris: Nouveau Monde, 2015. Print.
RTBF. “Attentats à Bruxelles: 35 décès, 96 personnes encore hospitalisées.” RTBF. 28 Mar. 2016. Web. 22 Apr. 2016.
Scott, Sayare. “Stromae: Disillusion With a Dance Beat.” New York Times. New York Times, 14 Oct. 2013. Web. 4 May 2016.
Creator
Sourisseau, Laurent "Riss"
Publisher
Charlie Hebdo
Date
2016
URL
http://referentiel.nouvelobs.com/file/15007265.JPG
Collection
Citation
Sourisseau, Laurent "Riss", “La Belgique déboussolée, selon Charlie Hebdo,” French contemporaine et humour (1939-2016), accessed June 19, 2025, https://frenchhumor.fren.sites.carleton.edu/items/show/10.
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